J’ai relu une deuxième fois la
lettre de l’universitaire George Yancy, qui invite à une introspection
puissante sur la question du racisme et du sexisme.
https://opinionator.blogs.nytimes.com/2015/12/24/dear-white-america/
Même si je ne suis pas le
destinaire premier, je peux m’inclure d’une certaine manière à l’exercice.
Je n’ai pas de honte à me
reconnaître comme relativement raciste ou sexiste – je viens d’une société
raciste et sexiste.
Si l’exercice de « tough
love », exercice socratique de dépassement des fausses vérités qu’on se
raconte pour se leurrer me semble effectivement très intéressant, proche des
autres exercices philosophiques, je sens poindre un désaccord qui tient à
l’extension de cette prise de conscience. Pourquoi s’arrêter ? J’aime mon
« tough love » comme complet et systématique.
Car au fond, le propos de
l’exercice de l’introspection proposé par Yancy est de nous mettre face à nos
propres démons, nos idées enfouies en nous, nos mensonges qu’on se fait sur
notre compte. Je trouve pourtant étrange de s’arrêter sur un ou deux bobos
spécifiques, celui-là plutôt que tous les autres.
Est-ce à dire qu’il est plus
important ? Qu’il soit plus médiatique ou spectaculaire, je le conçois
aisément. Il y a des morts, de la violence explicite (avec tout l’arrière-fond
implicite raconté par les victimes). Les caméras se braquent aisément sur ce
thème. BLM et de fortes manifestations secouent les États-Unis. De même, est-ce
que le sexiste est une tare enfouie en nous plus importante que les autres ? Il
y a encore une forte présence médiatique de ceci : #metoo et l’ensemble de
ses relents et conséquences. Personne n’aime être associé aux agresseurs, aux
violeurs et aux harceleurs.
Que ces deux défauts (racistes et
sexistes) soient les plus important à critiquer en moi me semble plus difficile
à prouver. Dans le cas du racisme, on suppose que cette importance va de soi du
point de vue de Yancy en tant que militant antiraciste. Pourtant, d’un point de
vue détaché, cette importance se conçoit mieux lorsqu’on a une idée des autres
thèmes et points de vue possibles. Bref, Yancy est peut-être, sans le savoir
relativement scientiste dans le choix de son thème : il nous parle
que du sien et il fait comme si c’était normal que chacun ne parle que de sa
spécialité – y compris de sa spécialité « morale »
laquelle serait aussi contingente que le fait d’être noir ou non, femme ou non,
née en Amérique ou en Afrique, en Chine et ainsi de suite. Mais quelle morale
digne de ce nom s’exprimerait ainsi, comme une spécialité, spécialité
contingente lié à son capital potentiel de souffrance ?
Il y aura sans doute un problème
de cohérence de tous ces discours moraux de spécialiste – il faudrait écouter
les femmes pour le sexiste, les noirs, les autochtones, etc. pour le racisme,
les populations du tiers-monde pour le colonialisme et ainsi de suite. Je veux
bien me critiquer et me critiquer solide – en tough love, mais j’aime que ma
critique de moi-même soit cohérente, harmonieuse, holistique, conséquente,
logique – bref totale. Si je multiplie les lettres qui me seront adressés, elles
toucheront leur cible pour peu que je ne me défile pas. J’aurai mal à tel ou
tel aspect de mon égo. Mais ces cibles seront toujours partielles. Elles ne se
parleront pas en moi. L’idée d’une spécialité morale me semble problématique si
elle abandonne la perspective de créer un maximum de liens. Entre mon moi
sexiste et mon moi raciste et mes autres moi mauvais que ma société m’a donné,
il y a sans doute des influences, des liens, des continuités, des désaccords
peut-être même. À moins que l’on accepte qu’il y ait de l’expertise possible en
morale ? Ultimement, je crois qu’il y a surtout une possibilité d’un jugement,
et, dès lors, d’un débat, d’une discussion. Laissons donc la morale ouverte au
profane qui peut justement embrasser le tout de la morale dans son action.
Je change de sujet ? Oui. En
fait, non : je pousse le sujet, je tente de le rendre cohérent, aussi
grand que ce qu’on critique vraiment, soit, un système qui ne connaît pas les
barrières des spécialités et des disciplines. La somme des expertises morales
du monde est insuffisante pour faire un système moral qui se tient dans ses
rouages les plus fins.
Yancy adresse ce problème
d’ailleurs en critiquant le point de vue général que l’on peut associer à la
philosophie, regarder les choses sub specie aternitatis – comme du point
de vue de l’éternité. Il y voit encore un privilège blanc. Lorsqu’on demande
aux noirs de se rendre à ce point de vue, on leur fait violence d’une certaine
façon car ils n’ont pas autant le luxe que les blancs de s’abstraire de leur
réalité concrète. Si sociologiquement, ce point de vue est valide, ce serait
pourtant encore faire d’un point de vue partiel la matrice la plus importante
qui expliquerait nos illusions. Et chacun ainsi se battra pour imposer
« sa » matrice comme la plus importante. Les femmes pour le sexiste,
les noirs pour le racisme, les habitants du tier-monde pour le colonialisme et
ainsi de suite.
Je veux bien avoir mal et j’entends
la peine et la souffrance. Mais je refuse de m’y laisser enchaîner. Je ne veux
pas être de simples oreilles écoutant passivement la liste des experts moraux.
Je cherche non pas en moi la pitié, mais la compassion, celle qui rétablie
entre moi les victime une égalité de principe. D’accord, vous souffrez. Mais ceux
que j’aime, c’est ceux qui défient leur souffrance. Ceux-là m’intéressent, car
ils ont une figure héroïque. J’aime et j’admire la force d’un Martin Luther
King ou d’autres qui ont cet esprit. Les autres, qui sont soumis ou passif face
à leur mal, je n’y suis pour rien et je n’en ai rien à dire. Certains naissent
difformes, c’est ainsi, on peut en être triste, on peut les plaindre. D’autres
naissent au mauvais endroit, dans des milieux pauvres, violents, etc. Et
d’autres encore s’assurent que ces milieux restent pauvres, exploitable,
violents et parfois même explicitement, par des actions bien concrètes. Ceux-là
sont immoraux et je les blâme.
Pourquoi me donner à moi,
individu contingent et minuscule, cette responsabilité quasi-métaphysique du
mal particulier qu’est le fait que tel individu souffre de racisme et pas moi? J’ai
autre chose à faire qu’accuser stérilement l’Univers de tous les maux, en
partageant avec lui le poids de l’Absurde. De même, je ne suis pas un Sauveur
qui prendra la souffrance sur lui et qui prétendra sauver le monde ainsi. Mes
désillusions se feront dans la lutte complète de tous les points de vue partiel
et non dans quelque figure christique aussi lointaine que le paradis.
Dans le Christ, l’individu a
effectivement la responsabilité du monde. On parle de Dieu aussi.
Comme individu athée, je veux
bien avoir la responsabilité de mes actes, même si certains de mes actes font
partie d’un système injuste et sont donc ainsi potentiellement complices. Mais
je suis petit, une goutte d’eau dans l’océan et mes actions ou réflexions n’ont
pas de pouvoir magique. Quand bien même j’aurais fait la meilleure critique du
monde, la meilleure introspection du monde, si l’action citoyenne n’est pas
collective, rien ne changera collectivement. Me rendre malade en réfléchissant
à mon impuissance globale n’aidera pas la cause. Je préfère donc raisonner à la
hauteur de mes vraies responsabilités et pouvoirs et abandonner le reste à
l’univers.
Je suis un individu donc. Je « pêche »
comme individu quand j’agis contre ma conscience, tout comme je n’ai de
responsabilité que comme un individu. Et qu’est-ce qu’un individu peut
faire de plus ? Des liens. Il peut se rendre compte comment sa société parle en
lui et que ce discours forme un tout, avec des habitudes, des sentiments et des
idées typiques. L’individu citoyen consciencieux est responsable de penser
globalement et non pas partiellement, même si ce « partiellement »
est pour lui existentiellement important.
Aussi, que nul n’entre ici que
celui qui ne sait s’extraire douloureusement de ses points de vue partial et
partiel.
Yancy, je vais relire et relire
ton texte. J’aime l’introspection anyway. Mais est-ce que tu te rends compte
qu’il exprime aussi un genre de scientisme ? N’ait pas peur du mot. C’est ton
introspection de ton introspection qu’il le révèlerait. Moi aussi, je suis
aussi scientiste malgré mes bonnes intentions pour ne pas l’être. Je viens
d’une société scientiste, aussi je suis parfois complaisant lorsqu’on se spécialise,
lorsqu’on s’expertise et qu’on trouve normal de le faire. Je tais ma
voix lorsqu’il serait temps de défendre les points de vue holistiques, car
comme ma société scientiste, j’aime être le spécialiste ou l’expert et je
n’aime pas me contenter d’un point de vue général ou profane. Ça parait pauvre,
mendiant, brouillon, amateur, vulnérable. Pire, ça fait que je doive spéculer –
l’horreur suprême – et en plus c’est long et ardu. Aussi, je suis scientiste
comme ma société est scientiste. La synthèse sera toujours mon défaut. Je me le
cache parfois, je me console en me disant qu’on collabore dans nos spécialités
de plus en plus spécialistes et que chacun fait sa part. Mais je me leurre,
évidemment. On n’aura jamais le temps pour ces liens et on se perdra dans les
points de vue partial et partiels.
Si on tient au mot « systémique »
dans racisme systémique, il va falloir se rendre systémique dans notre pensée,
dans nos sentiments, dans nos actions. Il va falloir se méfier de notre
caractère partial et partiel. Il va falloir s’avouer comme scientiste, expert,
spécialiste. Il en coûte beaucoup d’abandonner cette expertise et ce point de
vue, ce serait comme de se détacher de nos plus belles forces – comme une
citation qui nous démange qu’on aurait un goût énorme de partager.
Non, je ne ferai pas cet acte de scolarisation
de mon discours. Du moins, je m’en méfierais. Ce n’est pas mon propos, qui
tente de faire œuvre foncièrement générale.
À moins que l’on veuille régler justement
un problème partiel et isolé ? Je veux bien aussi. Une certaine idée du
militantisme l’appelle. Mais dans ce cas-ci, arrêtons de parler du racisme ou
du sexisme « systémique » comme notre ennemi, mais plutôt, tel ou tel
problème particulier à régler justement dans son aspect particulier. Nous
savons que la politique est techniquement responsable de nos problèmes, c’est
donc le lieu à investir, partiellement si c’est possible, globalement si ce ne
l’est pas.
Ainsi, généralisons le processus.
Que ce soit tout mon moi qui parle et non pas telle ou telle étiquette à
attaquer qui soit présentement à la mode.
Je n’ai pas de honte à me reconnaître
comme relativement raciste ou sexiste – je viens d’une société raciste et
sexiste.
Je n’ai pas de
honte à me reconnaître comme relativement scientiste – je viens d’une société
scientiste.
Puis-je me
reconnaître comme relativement philistin / brut ?
– Je viens d’une société philistine / brute.
Aimez-vous
vraiment l’Art ? Pas « l’art », je veux dire l’Art ? Son sérieux? Sa
vocation?
Ne vous cachez pas de ceci : vous
êtes un philistin qui, au mieux, écoutez des séries sur Netflix. Moi aussi je
suis philistin. Je suis complaisant avec les philistins en chef qui nous
dirigent. Je me tais quand il est temps de parler d’Art, de Beau, d’Idéal, de
Perfection. Je n’en ai rien à dire. « Des goûts et des couleurs, on ne se
discute pas ». On sait ce que veut dire cette phrase : c’est la
permission sociale d’avoir mauvais goût ou tout simplement s’en foutre. On n’en
demande pas tant. Moi non plus, je n’en demande pas tant. Des bâtisses droites
et fonctionnelles, c’est notre architecture normale. Le même canevas pour une
quincaillerie, un CPE ou une école. On n’en voit même pas la violence. Elle
n’est pas là la violence, à ce qui paraît. Elle n’est pas dans l’urbanisme,
dans la télévision, ni dans la musique de magasin ou d’épicerie. Elle n’est pas
dans la musique choisie par la radio. Elle n’est pas dans notre littérature ou
dans notre absence de littérature, de poésie. Bref, elle n’est pas dans notre
rapport à l’Art, on essaie de s’en convaincre. Il ne faudrait pas être
« bourgeois », « snob », « intello ». Il ne
faudrait pas être exigeant donc.
Je veux que « l’art » me
divertie, me cristallise et m’apaise, et ça me suffit à ma vie de
travailleur/consommateur.
Comme « artiste », je veux
que « l’art » s’exprime subjectivement, au sens pauvre de « je,
me, moi », dans ma tête. Je ne veux pas creuser et de toute façon le
public ne le veut pas non plus.
Comme parent, je n’apprends pas à mes
enfants à aimer l’Art. Je ne les initie pas vraiment à cela. Je m’en détourne
moi-même, je choisi la même chose pour mes enfants (dont je prétends pourtant
faire l’éducation mieux que quiconque). Je suis pressé, je suis fatigué et ce
qu’on m’offre de facile et de rapide n’est pas de l’Art, c’est du
divertissement abrutissant. Je cultive la puérilité chez mes enfants, je ne
leur fais pas découvrir autre chose que ce qui me convient. Ce qui les rend
cute, ce qui me fait passer un bon moment de divertissement, ce qui les rend
plus dépendant face à moi, ce que je juge arbitrairement et subjectivement bon
pour eux, voilà ce qui me convient. Je n’aime pas qu’ils grandissent trop, je
ne pourrais plus me valoriser face à eux.
Je ferai pression pour que mes enfants
ne se tournent pas vers l’Art, une fois adolescent ou jeune adulte. Les choix
de carrière qui me déplaisent sont toujours ceux qui sont artistiques ou
culturels. Ou si j’abandonne le terrain, j’encourage alors à transposer le plus
possible ces carrières en termes de spectacle et de clinquant. Ça me rassure,
car ils auront plus de chance d’avoir de l’argent, ce qui est plus important
que l’Art. Ou bien je leur sers l’illusion qu’il est possible d’avoir une
vocation culturelle sérieuse, doublée d’un travail à temps plein, illusion
d’ailleurs qui me plait bien car elle me protège devant mes enfants sur mes
propres choix dans ma vie, peu compatibles avec l’Art.
Tout le monde fait la même chose, on
n’ose simplement jamais se le dire.
Disons-le alors : il est bien
d’être brut et philistin. Je suis philistin et brut, je viens d’une société
philistine et brute.
Puis-je me
reconnaître comme relativement vaniteux ?
– Je viens d’une société vaniteuse.
Qui n’est pas
vaniteux ici ? Qui n’aime pas dorer son image ?
Malgré toutes mes bonnes intentions, je
crois que je suis vaniteux. Dites-le, vous aussi. J’aime représenter mes
actions sous leur bon côté, leur bon aspect. Ma vie sur facebook est issue de
cette volonté. Je compte beaucoup sur le regard des autres pour me forger une
confiance. Quand je n’ai pas ce regard, je ne vais pas bien. Je m’accommode
assez bien de mes défauts, mais ce qui me dérange, c’est quand les autres le
sachent. Aussi, je triche. Je fais comme si. J’omet certains détails, j’en
rajoute parfois.
Je joue la game des images dans ma
profession. Si je peux obtenir des récompenses officielles en trichant, je le
ferai.
Je passerai outre les problèmes qui
viennent de ce goût pour les images.
Je n’ai aucun problème à duper les gens
par mes images.
C’est normal dans une société de se
vendre. Tout le monde se vend, s’affiche et parade. Les autres n’ont qu’à faire
de même, c’est fair game comme ça.
Je fais violence aux gens, j’impose,
j’attire l’attention.
Je connais les trucs pour. Je parle de
ce que j’achète et je possède. Je me valorise par l’extérieur. J’y trouve mon
identité parce qu’on fond, je ne suis peut-être pas très original. Comme
d’autres, je rentre dans le moule, même si je dis que non. L’important, c’est
que j’en donne l’illusion. C’est compliqué être vraiment original. Je suis
complice de ce déficit d’authenticité qu’on s’inflige collectivement.
Je
fais partie du « bruit » ainsi, de tout ce qui est plus bavard que
fondamental, de tout ce qui n’a rien dans le ventre.
Je n’ai pas d’honneur. Je ne connais
pas ce mot, vieilli d’ailleurs.
Je suis vaniteux, je viens d’une
société vaniteuse.
Puis-je me
reconnaître comme relativement pollueur / destructeur de l’environnement ?
– Je viens d’une société pollueuse / destructrice de
l’environnement.
Qui n’est pas
pollueur ? Qui ne détruit pas l’environnement?
Vous protestez : vous faites des
efforts à l’épicerie en achetant ce qui est moins dommageable. Vous prenez le
bus ou le vélo. Vous marchez.
Mais soyez honnête. Vous n’avez pas
toujours le goût. Vous ne faites pas toujours l’effort. Ou pour certaines
choses, vous passez outre.
Moi aussi je le fais.
Vous avez des oublis qui sont très à
propos.
Vous oubliez le lien entre la
démographie et l’environnement. Ce n’est pas une partie du discours
environnemental que vous aimez.
Cela veut dire moins d’enfant.
Qui peut oser remettre en question ce
droit, privé, sacré, de faire des enfants ?
Ça rend inconfortable. C’est briser les
contes de fée qu’on se raconte en leur racontant des contes de fée.
Il vaut mieux parler d’autres choses.
Souvent aussi, je parle d’autres chose quand je parle d’environnement.
Votre discours politique ou économique
aussi vous trahi.
Quand vous chialez sur les BS, que vous
souhaitez les voir travailler, vous oubliez que plus de travail signifie dans
notre monde actuel, plus de consommation et plus de pollution.
Mais vous refusez de faire ce lien.
C’est normal que tout le monde travaille et consomme. Il ne faut pas arrêter,
cela ne fait pas de sens de chercher à arrêter.
Quand vous profitez d’une « bonne
économie », vous profitez aussi de la planète.
Si le PIB est un actif, la Terre est
notre passif.
Le gaspille est notre mode de
fonctionnement normal.
L’économie verte est toujours plus
économique que verte.
Mais je m’illusionne.
Mais je m’en fous.
Soyons honnête.
Je suis pollueur
et destructeur de l’environnement – Je viens d’une société pollueuse et
destructrice de l’environnement.
Puis-je me
reconnaître comme relativement colonialiste?
– Je viens d’une société colonialiste.
Même si les
colonies sont finies, je me reconnais comme colonialiste. Le peu de politique
internationale que je sais est complaisant face aux différents pouvoirs
impérialistes.
Ou je l’ignore tout simplement.
Je sais vaguement que mon café vient
d’endroit où il est fort probable qu’il y ait coercition et répression et que
mon pays « démocratique » appuie ceci.
Je me lave les mains d’Israël et des
alliés oppressifs de l’Occident.
J’ai aucune mémoire de l’impérialisme
américain ou des autres impérialismes même les plus évidents et les plus
documentés. Je jouerai le faux sceptique à chaque fois qu’on ose prononcer le
mot « complot ».
Parfois j’essaye peut-être d’acheter
équitable.
Mais la totalité me rattrape.
J’achète d’Asie mes vêtements. Je n’ose pas déduire ce qui s’en suit
logiquement.
Quand j’achète une poche de riz, je ne frissonne pas de ce que cela
implique.
Ni les bananes.
Ni les produits ayant certains métaux
précieux ou rares, nonobstant mes petites larmes quand j’ai écouté Blood
Diamond.
Quant aux cultures, je les aime comme il se doit – en folklore ou en
touriste superficiel.
Je pourrais bien être ouvertement
xénophobe ou anti-immigrant mais je n’ai même pas besoin d’aller jusque-là. Il
me suffit de me contenter de profiter de leur rôle actuel, qui est de nous
fournir en cheap-labor supplémentaire et en citoyens de seconde zone. Je
pourrais même réussir à me faire passer pour « ouvert d’esprit » de
cette façon.
Je suis
colonialiste – Je viens d’une société colonialiste.
Puis-je me
reconnaître comme relativement légaliste?
– Je viens d’une société légaliste
Je n’ose jamais
vraiment défendre le fait d’être souple, de laisser du lest ou de suivre autre
chose que la bureaucratie à la lettre.
Je m’en lave les mains comme ça et
personne ne peut rien me reprocher. Je ne tiens pas tant à ma liberté
personnelle ou celle de mes collègues au travail car cela serait faire de moi
une cible. Je ne veux pas que mes boss soient contre moi. Aussi je suis rigide.
Je suis zélé, comme le premier de classe. Je m’habitue à la haute surveillance
de mes patrons, de mon gouvernement et à être scrupuleusement dans les normes.
J’encourage indirectement l’excès juridique. Peut-être que j’en profite aussi
et que cela justifie mon travail. Je peux être boss des bécosses.
Je n’oserai jamais défier les normes de
sécurité ou de prendre des risques même si les règles n’ont pas de sens.
Comme citoyen, je pense toujours au
pire, je réclame toujours plus de surveillance, de contrôle et de lois. Je ne
suis pas capable de lâcher prise. Ou si je suis capable, je n’en parle jamais
devant ceux qui capotent au moindre bobo / accident / mort, voire à la moindre
possibilité de bobo / accident / mort.
J’encourage l’infantilisme, la procédurite, les pouvoirs de contrôle et
d’oppression.
J’encourage le tabou de la mort, la
vénération hypocrite de la santé (alors que je passe outre tous les effets
négatifs de mon légalisme sur la santé mentale et physique), la culture du pire
scénario.
Je suis
légaliste – Je viens d’une société légaliste.
Etc.
Je pourrais
multiplier les accusations, mais j’essayerai de ne pas être scientiste dans mon
approche. Aussi je tenterai de faire des liens.
Peut-être que
j’échouerai. Au moins l’élan sera là.
Mon
colonialisme encourage mon racisme.
L’idée qu’il y ait des gagnants et des
perdants sous l’angle de l’économie et de la politique internationale me
conforte dans l’idée qu’un citoyen a plus ou moins de valeur, selon la place de
son pays dans le monde.
De cette idée, j’en tire la conclusion
qu’il est correct de dévaloriser la vie de certaines personnes ayant certains
traits – ce qui nourrit mon racisme.
Derrière, il y a l’idée de compétition
et de la chance.
J’y participe comme acteur – et j’y
inclut ma famille et mes proches.
Je peux être naïf au point de croire que
ceux qui « réussissent » le méritent et qu’il n’y a jamais au fond un
rôle important à la chance – la même qui me fait citoyen de tel ou tel pays,
homme ou femme, dans tel milieu plutôt que tel autre avec tel bagage plutôt
qu’un autre.
Ou alors, si je considère qu’il s’agit
d’une question de chance, alors j’en profite tout simplement comme un gagnant à
la loterie. S’il y a injustice, alors, elle est existentielle : pourquoi
moi plutôt qu’un autre ?
Devant le silence, je n’ai rien à dire.
Je m’absous du reste, de la part mienne
des injustices, celle que je crée explicitement par mes actions.
Mon
légalisme encourage mon sexisme, mon racisme et mon aspect pollueur et
destructeur de la nature.
Mon pointillisme légal justifie
l’impuissance des tribunaux et du système judiciaire tant pour le racisme que
le sexisme.
Ce pointillisme donne du lest pour
mystifier l’oppression raciale ou sexuelle, de manière à la rendre acceptable.
Il tend à donner confiance à ceux qui
savent être strict et utiliser cette rigueur à leur avantage ce qui tend aussi
à favoriser les riches – ayant les avocats et les « loopoles »
juridiques de leur côté. Par extension, riche signifie blanc et homme.
Côté environnement, mon légalisme me
donne l’occasion de mystifier ma responsabilité réelle : ce ne sont que
mes droits, ce n’est que mon emploi, c’est le plus que ce que je peux faire,
etc.
Mon
scientisme encourage mon légalisme, mon aspect pollueur et destructeur de la
nature de même qu’il m’encourage à être brut et philistin
Le fait d’abandonner les lois et le
système judiciaire à des experts favorise en moi l’idée que la loi n’est pas
pour le simple citoyen, le profane.
Une telle idée m’encourage à accepter
sans trop se questionner le cadre pointilleux dans lequel je me trouve, de même
qu’à utiliser cet excès de loi et de bureaucratie à mon avantage plutôt qu’à
vouloir à le réformer.
Je suis ainsi complice du mensonge
commun qui consiste à croire qu’il est possible « que nul n’est censé
ignorer la loi » dans notre système. Faudrait-il vraiment la connaître la
loi ? Mais elle n’est pas à nous cette loi. Elle change constamment, elle
s’alourdie de jurisprudence, connue à peine par les experts eux-mêmes. Elle sera
nécessairement l’outil de ceux-ci, servant ceux-ci et leurs employeurs. Parce
que je suis scientiste, je ferme les yeux sur tout ceci.
De même, mon scientisme facilite le
court-circuit du discours environnementaliste. Parce que chacun a sa
spécialité, on légitime le discours de ceux qui ont des œillères
environnementales évidentes. On encourage le cherry-picking des propos qui me
justifient comme consommateur et pollueur ce qui rend acceptable les
demi-mesures.
Le goût de l’expertise dévalorise la
perspective artistique, ce qui me rend philistin et brut : elle la rend
bêtement subjective, non-valide et sans profondeur. Je ne veux pas paraître
comme stupide à croire encore à des choses comme la beauté ou la perfection.
J’y associe parfois, sans m’en rendre compte, l’idée de superstition. Je veux
paraître solide comme un expert, avec des chiffres et des données si possibles.
Ma vanité
encourage tous mes défauts : racisme, sexisme, scientisme, philistin et
brut, colonialiste, pollueur et destructeur de la nature.
De manière évidente, ma vanité cultive
mon image. Tout ce qui attaque mon image est à tasser de côté, à minimiser ou à
taire.
Je fais ainsi des efforts pour paraître
moral et non pas l’être.
Je ne creuse pas non plus la réflexion
sur ce qui serait vraiment moral ou non. Je risquerai de me rendre compte que
je souhaiterai être moral d’une autre façon que celle de mes compatriotes.
Aussi, on m’accusera de tous les maux et je serai une cible.
Je ne veux pas paraître égoïste même
quand je le suis. Faussement, je m’affiche comme altruiste, simplifiant sans
doute l’opposition entre les deux termes.
Je suis peut-être croyant parce que les
autres le sont ou du moins je considère potentiellement cet aspect dans mon
image quand bien même j’accepterais des dogmes incohérents et des superstitions
creuses au passages, avec leur impact négatif évident, pour moi ou pour les
autres.
Lorsque je voudrai le bien des autres,
ce sera toujours à partir de ce que je voudrais pour moi-même. Je refuse
d’imaginer d’autres perspectives et de relativiser la mienne. Indirectement, je
me remettrai en question. Je suis terrorisé par cette idée.
Le regard de mon groupe me dupe sur ma
vraie valeur morale.
Il vaut mieux que j’accepte comme telle
la morale commune plutôt que d’en faire la critique.
Cela me crée des alliées qui me
valoriseront à mon tour.