vendredi 30 mars 2012

La défense de l'invisible

Je ne sais pas qu'est-ce qui crie, mais ça crie, c'est criant, et le plus chiant, c'est que c'est invisible à bien des gens !
Manquer la joie, la rencontre, l'accueil, l'amour ce serait un peu cave non ?
Remplacer ces mots par la haine, l’ennui, le cynisme, la solitude.
Enfin …

On joue toujours à cache-cache avec l’invisible. Dans nos sociétés brutes et concrètes, pas de place pour ce qui ne se voit pas, ou ce qui se voit difficilement. Ou très peu, enfin. Tocqueville, ayant assisté à la naissance de la démocratie en Amérique prédirait que la santé serait un domaine très valorisé en démocratie, car ça se voit. On voit le médecin sauver des vies, personne ne se questionne alors sur sa valeur.

D’autres choses ont moins d’impact dans l’imaginaire populaire. L’enseignant en est un. Comment voir la différence entre un bon et un mauvais? Sous quels critères ? Avouez, «l’opération médicale» qu’est l’éducation a un résultat ambigu, qui se perd dans la masse de l’évolution personnelle de tous et chacun. L’imbrication, la fusion de questionnements, de sentiments positifs ou négatifs, d’expériences et d’exercices se comptabilisent mal, et l’effet peut parfois prendre des profondeurs à faire frémir tout psychanalyste. Comment ne pas voir l’invisible qui se tisse dans une bonne éducation ? Comment ne pas voir qu’il est, d’une certaine manière, le tronc principal de l’arbre de la société ? S’il est fragile, le reste le sera aussi. Alors que le lien social devient très fin et impersonnel avec un certain individualisme, l’éducation forme des citoyens actifs, vigilants et impliqués dans la société. Tocqueville avait aussi prévenu le danger d’une société sans liens, ni repaires. Traditionnellement, le lien était comblé par les religions, qui apportaient un certain sens de la communauté dans la société. Avec la laïcisation, bien sûr ce lien est devenu moindre, quoiqu’il reste néanmoins présent dans la société à différents niveaux. Tout cela pour dire qu’il faut protéger cet invisible qu’est l’éducation, dont les effets sont pourtant bien réels.

Un autre invisible serait l’art, et ici je ne parle pas l’art du virtuose qui prend toute la place, mais bien l’art plus discret qui nous demande de «l’interroger», bref, qui demande un certain effort. La richesse de l’art serait pauvre si elle se limiterait aux lieux communs, aux moules tout fait d’avance. Voici un autre sujet que Tocqueville avait encore bien vu : l’art sérieux est constamment attaqué par un art de masse, l’invisible par le visible.

Ce texte est alors une invitation à apprendre à voir l’invisible, ce qui est fragile et délicat, car c’est de là que vient la joie de créer, le charme de l’avenir et finalement, le sentiment «d’être véritablement chez soi» et non dans un monde pauvre, médiocre et ambigu. Peut-être qu’en apprenant à voir, on verrait le meilleur ?