dimanche 29 juillet 2012

Approche philosophique

Une approche philosophique féconde oscille entre deux extrêmes à éviter. D’une part, elle n’est pas «éternellement préliminaire»[1], dans le sens de Jankélévitch : elle n’est pas une entreprise éternellement préface ou temporaire face à un ouvrage, voire un système philosophique plus final ou définitif. D’autre part, elle n’a pas la prétention non plus d’être achevée et devant être classée à côté des théorèmes d’Euclide. L’une se perd dans les dédales intellectuels qu’elle se crée et n’en ressort jamais, l’autre se pose comme autorité et gourou, fière incarnation du savoir au nom de tout un système. La mauvaise conscience de l’une est celle d’avoir abandonné le monde et de s’étourdir de ses fantasmes. Comme le dit si bien Berkeley : « Les hommes soulèvent la poussière et se plaignent de ne rien voir.»[2] Celle de l’autre est de sentir la complexité ouverte du monde et d’entendre un peu comme le démon intérieur de Socrate «protester» contre la fermeture avec laquelle on prétend discourir sur le monde. N’est-ce pas le souci du détail, du réel, voire d’autrui qui rappelle à l’ordre comme incarnant une complexité plus grande encore?
Si la prudence du sceptique étourdit, la fermeture du dogmatique endort. La recherche philosophique possède cette tension toute interne entre la recherche et la découverte du savoir. Cependant, le but et la destination n’est pas en nous et le réel, aussi sinueux, fin et lointain qu’il soit, est notre but. La philosophie en cela est bien voyage dans et vers le monde. En un sens, la quête est plus importante car elle dynamise l’intention du philosophe afin qu’il arrête de tourner en rond avec ses idées, dans son monde réduit et rapetissé. Or, chercher, en un sens c’est déjà avoir trouvé, c’est au moins avoir trouvé qu’il faut chercher ! L’intention philosophique, telle que nous la concevons est bien extrovertie, médiatrice et transitive, elle s’oppose d’emblée à la logique statique de l’ego qui prend ses idées sommaires pour la réalité. L’abstraction, si elle est commode et même utile, n’a pas à se substituer à la réalité. Cette orientation n’a pas à se justifier préalablement par quelque principe que ce soit, car cela supposerait que ce dit principe vaut mieux qu’un face à face avec le réel, et ce avec le moins de détour possible. La richesse de l’expérience concrète nous suffit comme point de départ épistémologique et philosophique. Sautons à deux pieds joints, nous verrons bien.


[1] La différence entre les timides abstractions des collèges et la générosité de la philosophie concrète, c'est que les unes sont éternellement préliminaires.
[2] “We have first raised a dust, and then complain, we cannot see” Berkeley, Principles, Introduction 3